La passion du théâtre qui avait été toute sa vie n’avait jamais fléchi face aux difficultés de concilier les rôles d’acteur, metteur en scène et créateur de festivals, le comédien et le gestionnaire. Une dernière fois , devant ses amis regroupés dans l’amphithéâtre de Serres qu’il avait dessiné, face au “Cardou” la montagne magique qui changeait de couleur avec le crépuscule, signal du début des représentations du festival d’été durant une décade autour de Jean-Claude Drouot, il avait raconté en quelques textes essentiels les coups de coeur de sa longue et riche carrière. Lotois d’origine, Jean Deschamps (1920-2006) s’était rapidement épris de la terre d’Aude et de son plus beau fleuron la Cité de Carcassonne, qui allait devenir sous son impulsion l’une des places fortes de la culture populaire de qualité décidée par Malraux dans le cadre de la décentralisation. Et dont le grand théâtre porte désormais son nom. De Carcassonne à Sète et le surprenant théâtre de la mer, de Sisteron au château Royal de Collioure à la carrière Sarragan à la roche étourdissante de blancheur, il avait célébré les grands auteurs du répertoire, des Anciens aux Modernes: le Cid, Hernani, Promethée accompagneront ses premiers pas qui resteront dans le même cheminement d’une exigence sans concession. La troupe du Palais de Chaillot, le festival d’Avignon dont il est un des co-fondateurs avec Jean Vilar qu’il accompagne au Théâtre national populaire (TNP), puis la Comédie Française qui le reçoit dans le rôle de Titus de Bérénice, le situent parmi les comédiens les plus en vue aux côtés de Gérard Philippe, Maria Mauban, Sylvia Monfort, Daniel Sorano, Georges Wilson. Le besoin de liberté le propulse à la direction du théâtre du Midi centre dramatique national du Languedoc-Roussillon qu’il fonde. “La chanson de Roland” “Miréio” en provençal attestent de son attachement à la culture régionale qu’il associe au répertoire traditionnel. Considéré comme le plus grand acteur shakespearien de sa génération, Jean Deschamps fera une apparition remarquée dans le rôle de Charles de Valois dans le film télévisé “Les rois maudits “ de Maurice Druon. Il sera à l’origine avec Georges Hacquard de l’encyclopédie sonore pour le théâtre tenant lieu à la fois d’archive et de lien à l’adresse d’un public marginalisé. Infatigable créateur, pas un seul auteur d’importance n’échappera à son regard d’aigle dont la manière de voir prévalait sur les considérations d’auteur, Sartre compris, dont il avait monté “Les mouches”. Intarissable sur le poème dramatique dans le théâtre de Racine, Jean Deschamps a ouvert une brèche dans la cuirasse de l’incompréhension entre un art et le public, associant à l’exclusivité de l’évènementiel, l’ambiance insolite d’un site de plein air tourné vers les étoiles.
Georges Chaluleau