L’heure est venue, les vignes sont mûres et lourdes dans la rosée du matin. Tout le village s’affaire et bourdonne, de partout débouchent des bandes de vendangeurs, toute une cohue fraîche et colorée, certains en bras de chemises, d’autres la chemise boutonnée jusqu’au col. Tout ce monde s’abat sur la vigne, au sécateur on taille le raisin, la «mouseigna» coupe le premier raisin, puis on vide le tout dans la hotte du porteur ce seigneur de la vigne, les comportes seront bientôt à bloc. C’était le temps de la « Vendemias » dans le Domaine Saint Martin des Cases. André, le patriarche comme le « Guépard» de Lampedusa, regarde ce monde ancien, s’attarde à la mémoire de ce spectacle comme au centre de sa vie. Ici dans ses vignes, il a toujours l’âme du conquérant viticole, aujourd’hui que ses fils Henri et Philippe ont repris le domaine. Henri se souvient de ses dernières vendanges à la main, près de 30 ans déjà, une « colhe» de 120 personnes, dans un infernal cliquetis de ciseaux. La «colhe» n’a pas encore mal aux reins, elle s’étire le matin, les porteurs s’alignent et Henri pourrait raconter à ceux qui n’ont jamais vendangé ces « colhes» qui venaient de tous les villages et parfois d’ailleurs. Il n’y eut jamais de «colhes» silencieuses, mais beaucoup d’allégresse dans les rangées à force de se parler et de rigoler comme pour se donner du coeur à l’ouvrage en attendant la pause règlementaire, le pain frais et le jambon du pays et le café dans le thermos. Ainsi on vendangeait chez les Cases au grand air dans un joyeux tapage… Aujourd’hui, deux grosses machines battent les 300 ha du Domaine, les deux monstres mécaniques ont balayé toutes ces images sépias et un monde à jamais disparu et les raisins ne bourdonneront plus du vol des insectes : Vendemias Ex Machina ! Dernier jour de vendange chez Henri et Philippe, on ne manquera pas de célébrer les dieux de la vigne: Bacchus, Dyonissos ou le Tout puissant le «Dius a vol» un repas pour les remercier d’avoir protégé ce travail commun. Il y aura moins de monde autour de la sainte table. Le temps qui passe aura laissé tous ces croyants sous le pas de la porte. Dommage !